Passer une journée à Iekaterinbourg, c’est un peu comme tenter de faire tenir un éléphant dans une boîte à chaussures : ambitieux, mais pas complètement impossible. ( Il faut un petit éléphant)

Nous arrivons à 23h passées, émergeant d’un wagon encore empreint de discussions militaires confuses et d’odeurs de pieds et de nouilles instantanées. Le train ralentit, les néons de la ville défilent derrière la vitre, et même à cette heure indécente, on comprend qu’on entre dans quelque chose d’important. Iekaterinbourg, ce n’est pas le genre de bled où on hésite entre un rond-point et un clocher comme unique animation. Non, c’est une métropole de l’Oural, 1,5 million d’habitants, et une vraie ligne de fracture entre Europe et Asie — au sens géographique mais aussi culturel et architectural.

Installée entre collines boisées et barres d’immeubles soviétiques, la ville fut autrefois appelée Sverdlovsk (parce que les bolcheviks aimaient bien rebaptiser des trucs), et reste tristement célèbre comme le lieu d’exécution des Romanov. Mais bon, nous ce soir-là, on pense surtout à trouver notre lit. Direction l’auberge de jeunesse, check-in éclair, deux petits lits et sommeil qui ne demande qu’à arriver.

Jour J, le vrai

On ouvre un œil vers 8h. Il ne reste plus que vingt heures avant notre prochain train. Pas le temps de niaiser : douche, café instantané, chaussures, et dehors. Premier arrêt : l’église de Tous-les-Saints. L’endroit est sublime. C’est ici que les Romanov ont été exécutés, mais aussi où l’on vient chercher la paix intérieure (voire la clim en été). L’intérieur est interdit aux photos, mais on peut vous dire que c’est doré, très doré, et d’un calme presque cosmique. On doit se voiler — l’église prête des étoffes, deux étages de jupons et foulards, ambiance petit théâtre orthodoxe.

En sortant, le soleil est là, doux, chaleureux, et la ville prend un air presque méditerranéen. On longe le canal, reflets parfaits, canards en goguette, et un petit café qui ne paie pas de mine mais qui sent le bonheur torréfié. Entre deux américanos, on exécute notre dernier virement en crypto vu qu’aucun des virements qu’on nous a fait n’a fonctionné et SEndNow ça ne mache qu’une fois sur deux. Ouf, terminé ce suspense financier !

On poursuit avec une balade plus légère, genre tourisme improvisé. Des statues étranges nous attirent : un clavier géant, une sculpture des Beatles qui a l’air d’avoir été fondue dans un micro-ondes, des installations rigolotes comme les Russes savent les faire quand ils ont le temps. Le parc à côté est calme, presque contemplatif. On a cherché la fameuse plaque Europe/Asie miniature qu’on pensait être là, dans le parc — mais que nenni. En réalité, pour la vraie borne symbolique, il faut faire 17 km. L’autre, censée être planquée ici, est peut-être un mythe urbain ? On n’a rien trouvé, mais on aura essayé.

Midi pile, on s’autorise une pause dans une stolovaïa, cantine soviétique du bonheur. Pour 400 roubles (environ 4 euros), on déguste soupe, schnitzel, purée, salade et pain. Franchement, c’est délicieux. En sortant, on craque pour un dessert dans une pâtisserie chic : là, c’est une autre ambiance. Un cheesecake framboise plus cher que le repas complet. Voilà, la Russie et ses paradoxes : on pinaille pour économiser 40 centimes, et on claque sans ciller 12 euros à deux pour un latte et un gâteau. OKLM comme disent les poètes.

On grimpe ensuite dans la fameuse Vysotsky Tower, une tour panoramique qui offre un 360 parfait sur la ville. Pour 600 roubles chacun, on se sent maîtres du monde. Ce genre de point de vue, c’est un peu notre faiblesse. On aime comprendre la ville, voir comment elle respire. Iekaterinbourg est grande, verte, parsemée de dômes, de cheminées, de toits plats, et ça l’aide à prendre forme dans nos têtes.

Vers 16h, c’est l’heure de la sieste mentale. On rentre à l’auberge pour recharger les batteries et reposer les pieds. On ressort à 19h30 pour notre ultime virée. Cette fois, on longe la partie nord du canal. La lumière tombe, les familles sortent, les couples ensemble depuis, on l’imagine, au moins trente ans dansent, les skateurs filent sur les rampes — il y a une vie urbaine ici qui contraste avec la plupart des étapes précédentes. C’est vivant, joyeux, presque méditatif. On se croirait sur les quais de Seine si je dois faire le lien avec quelque chose que je connais bien.

On dîne sur une rue animée (Vaynera), et là, c’est plus cher. 40 euros à deux pour un dîner avec apéro sans alcool. On a mangé dans toute la Russie pour moins que ça, mais l’ambiance était sympa, les assiettes bien servies, et juste ça, ça faisait plaisir.

Retour à l’auberge vers 22h. On se lave, on plie tout pour la millième fois, on essaie de se coucher tôt. Le réveil sonne à 3h30. On a dormi à peine 3h. On sort dans la nuit noire, la ville dort encore, sauf quelques silhouettes titubantes. On traverse Iekaterinbourg presque seuls, valises qui roulent mal sur les pavés.

4h44 : notre train part. On laisse la ville derrière nous. On entre en Europe. Au revoir la Russie asiatique, les fuseaux horaires, les stolovaïa à 4€ et les humains qui ne parlent pas un seul mot d’anglais.

Et bonjour à la suite du voyage.